"Pas de spécialités à Montpellier ? Mais il y en a trop ! "
Le Point : Montpellier n'a pas l'image d'une ville gourmande. Pourquoi ?
Fabien Vié : C'est une erreur. Dès le Moyen Age, on y mangeait très bien. C'est ici d'abord que sont arrivées les épices d'Orient puis, plus tôt qu'ailleurs, les tomates. En outre, Montpellier est entourée d'étangs, de terres fertiles, elle est proche de la mer. Rondelet a été le premier à faire un inventaire des poissons de Méditerranée. La nourriture y a été abondante presque de tout temps, même s'il y a eu un passage à vide après la destruction de la ville par Louis XIII, qui souhaitait anéantir les protestants. Ensuite, la cuisine a retrouvé ses droits grâce aux riches commerçants.
Mais pas au point de parler de tradition gastronomique ?
Si. Simplement, du fait de la culture protestante, la tradition a été longtemps de recevoir chez soi plutôt que de se montrer au restaurant. On festoyait donc discrètement. Il suffit de voir les imposantes cuisines des hôtels particuliers. Ensuite, les restaurants se sont développés, comme Rimbaud ou d'autres auberges dans les faubourgs. Il y eut un âge d'or de la cuisine avec Cambacérès, véritable ambassadeur du Languedoc à Paris, aux XVIIIe et XIXe siècles.
Y a-t-il alors une tradition culinaire ?
Bien sûr. J'ai en ma possession 96 recettes typiques d'ici, dont certaines ont plusieurs siècles. Il faut savoir que la ville possédait des abattoirs importants et que, par exemple, les tripes étaient une spécialité, ainsi que la gardianne, puisque les taureaux camarguais étaient abattus ici. Il y avait une rue de tripiers et une autre de poissonniers, l'actuelle rue des Teissiers. On mangeait également du foie gras troqué aux producteurs du Quercy contre les figues cultivées localement. D'ailleurs, ce sont ces mêmes figues dont Louis XIV raffolait au petit déjeuner. Et les écrevisses ou les crabes d'étang permettaient de confectionner des soupes traditionnelles.
Un menu typique d'ici ?
En entrée, une tapenade d'olives noires sans anchois ni câpres, des croquettes au perdreau et à la truffe, ensuite une tatin de foie gras à la Cambacérès avec des pommes du Vigan, un rôti d'agneau à la huguenote relevé par la cannelle et accompagné de cèpes. Puis des oreillettes en dessert, du pain d'épices ou une glace au lait. Voilà un repas garanti pur Montpellier depuis des lustres !
Pourquoi n'y a-t-il pas une spécialité reconnue de Montpellier ?
Pas de spécialité ? Mais il y en a trop ! Ici, la cuisine est mosaïque, impossible à réduire à un seul plat. Beaucoup de villes n'ont pas de spécialité mais possèdent une culture culinaire. C'est le cas de Montpellier, qui est passée d'une cuisine épicée à une cuisine bourgeoise, faisant la part belle aux viandes, poissons, légumes et fromages de chèvre ou de brebis.
Comment jugez-vous l'évolution de la cuisine à Montpellier ?
Il y a de quoi être inquiet, puisque l'art de bien manger se perd à l'heure de la nourriture industrielle. C'est pour cela que j'ai travaillé durant un an avec une classe de primaire pour éduquer le goût des enfants. Apprécier et choisir les produits, cela doit s'apprendre et se transmettre. C'est un patrimoine. Ce qu'il faut, c'est enfin créer un répertoire des traditions et recettes montpelliéraines et les faire circuler. J'espère pouvoir y arriver d'ici quelque temps. Et même pouvoir proposer en boutique des préparations de recettes typiques de Montpellier. C'est mon rêve.
Le Point - Edition Montpellier
Edition du jeudi 25 novembre 2010